Le capitaine Vanderdeken refusa une fois de plus de laisser son équipage épuisé descendre à terre. Le manque de vent faisait traîner le vaisseau sur l'océan, à la vitesse d'un escargot asthmatique.
Parti de Londres depuis plusieurs mois, les marins du "Hollandais Volant" ne s'attendaient plus à atteindre l'Australie avant la fin de l'année 1666. A l'époque, le Canal de Suez n'avait pas encore été percé, et le voyage vers les Terres Australes ressemblait à l'éternité.
Le Cap de Bonne Espérance aurait pourtant dû être franchi avant la période des tempêtes.
Ils avaient longé les côtes de l'Europe, passé le détroit de Gibraltar, et continué le long du continent africain à une allure insupportablement lente. La nourriture avariée et l'eau croupie empoisonnaient l'équipage puis le scorbut avait fait son apparition à bord. Et malgré les supplications des marins, le capitaine, un protestant borné, dur et intransigeant, refusait de faire relâche dans un port. Il fallait coûte que coûte rattraper le temps perdu. Le profit à n'importe quel prix était sa raison d'être.
Arrivés à hauteur de la ville du Cap, Vanderdeken finalement à bout de nerfs, céda à une crise de rage. Il maudit le ciel et l'enfer; et dans un accès de démence défia Dieu et le diable pour un peu de vent.
Aussitôt, un léger souffle de vent venu de nulle part répondit à son imprécation, puis une brise se leva; et le " Hollandais Volant " se mis à glisser sur les flots en prenant de la vitesse. On approchait du Cap de Bonne Espérance. Là où les océans atlantique et indien mêlent leurs eaux.
Le vent forcit, et bientôt la tempête éclata.
Le plus terrible des ouragans que la pointe de l'Afrique ait connu de mémoire humaine. Le ciel était noir d'encre, et l'enfer se déchaîna. Des vagues monstrueuses déferlaient sur le pont du bateau emportant marins et marchandises. Les hommes hurlaient, ils allaient démâter.
C'est alors qu'un spectre gigantesque apparu, qui somma Vanderdeken de se repentir. Le capitaine pointa son pistolet sur l'apparition et fit feu. L'arme lui explosa entre les mains.
Depuis lors le " Hollandais Volant " erre de mers en océans, et particulièrement aux alentours du Cap de Bonne Espérance. A son bord, seul et attaché au gouvernail, le maudit dirige son vaisseau fantôme. Rares sont ceux qui ont survécu à une rencontre avec lui.
Des légendes chuchotées dans les bars de Capetown par des noirs superstitieux racontent qu'on y croise parfois le vieux marin, quand le temps est à l'orage et le pays en conflit. Le Maudit vient s'approvisionner en rhum, genièvre, pipes et tabac fort d'Afrique et, obsédé par une errance solitaire, tente de compléter son équipage. Il paye toujours ses achats d'une ancienne pièce de huit en argent provenant, dit-on, du trésor d'un galion coulé.
S'il vous propose une partie d'échecs, prenez garde, c'est un redoutable joueur. Gagnez, et vous deviendrez riche et célèbre. Il est dit que seul un certain Richard Wagner l'aurait battu dans la première moitié du XIXé siècle.
Si vous perdez, vous l'accompagnerez dans son errance jusqu'à la fin des temps...
Le capitaine joue toujours avec les noirs.
La blague à tabac et la pipe en terre que vous voyez ici furent trouvés à Capetown en 1900. Après qu'un soldat anglais en permission dans les bouges de la ville eut perdu une partie contre le maudit, et disparut le soir même. Le sachet contient outre du tabac, deux pions d'échecs en ivoire d'âge vénérable, l'un blanc et l'autre teinté, une pipe en terre et une pièce de huit provenant d'un galion coulé.